Page 26 - Une Famille Volante
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qui dessine un contraste saisissant avec le désert que l’on aperçoit au large de chaque rive. Mais
l’équipage joue de malheur dans cette vallée du Nil, car à 16 h 05, après plus de 8 heures de vol
ininterrompu, la jauge d’essence indique les réservoirs vides. Ils sont donc contraints de se poser
sur les bords du fleuve, au lieu-dit Béni-Suef, étant encore à 100 kilomètres du Caire, leur objectif
du jour. Les Indigènes qui travaillaient dans leurs champs accourent, mais ne comprennent pas
le français, et leur arabe est fort différent de celui que pratiquent nos aviateurs en Algérie. Mais la
chance sourit aux audacieux quand un représentant de la Shell, en tournée dans le secteur, vient
leur porter assistance et grâce aux moyens qu’il met en action, ils pourront gagner Le Caire le
lendemain 31 janvier, après une nouvelle nuit de bivouac, cette fois sur les rives du Nil.
Ainsi rechargé de 100 litres d’essence auto, le Farman décolle de Béni-Suef à 11 h 55. Après
Assouan la vallée du Nil s’élargit et jusqu’au Caire on a l’impression de survoler un immense
tapis vert. Ils se posent au Caire à 13 heures sur un terrain très bon et très grand. Le parcours de
Ouadi-Halfa au Caire aura été le plus long de ce raid, avec 9 heures 15 de vol entrecoupé par une
deuxième nuit consécutive de bivouac panne d’essence.
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Ils ne passent qu’une nuit au Caire, qu’ils doivent quitter le 1 février à 7 h 20 pour entamer le
chemin du retour, après un plein de 480 litres. D’un seul coup d’aile, ils rejoignent la mer en
laissant Alexandrie sur leur droite puis, volant tantôt sur terre, tantôt sur mer, ils rallient Tobruk
en Tripolitaine (actuelle Libye) après 6 heures 20 de vol.
Il ne faut pas trop s’éloigner de la côte et vouloir couper en pleine mer, car on trouve dans les
golfes des vents qui se contrarient, provoquant des courants ascendants et descendants. C’est ainsi
qu’en coupant le golfe de Saloum, le Farman subit brusquement une forte dérive vers le large,
descendant de 1 000 mètres à 300 mètres en très peu de temps. Avec le moteur à plein régime,
l’avion met un grand moment pour rejoindre la côte et reprendre une altitude normale. Après cette
longue étape, ils embarquent 200 litres d’essence grâce à l’obligeance du commandant militaire
italien de l’aérodrome et décollent à 14 heures après seulement 20 minutes de pause. L’avion est
alors fortement secoué sur ce parcours, avant de se poser à 16 h35 à Benghasi.
La fin du voyage est sans histoire. Après une nuit à Benghasi, le Farman couvre le trajet Tri-
poli-Gabès (Tunisie) dans la journée du 2 février, longue journée de plus de 8 heures de vol. À
Tripoli, ils trouvent le terrain mou, petit et très peu dégagé, ils ont beaucoup de mal à redécoller.
Trois ravitaillements ont été effectués : 400 litres au départ de Benghasi, puis 100 litres à Tripoli
et 400 litres à Gabès pour assurer leur arrivée à bon port. Le 3 février, dernier jour de voyage. Ils
décollent à 8 h 15, survolent Tozeur, Biskra et M’Sila, pour se poser à Maison Blanche à 12 h 45.
Au total, les frères Germain et Picard leur mécano, auront parcouru dans ce périple 17 000 ki-
lomètres en 16 jours, soit 83 heures et 23 minutes de vol, et consommé près de 5 500 litres de
carburant. Mis à part un problème de butée de culbuteur dans l’étape Fort Lamy-Abécher et les
deux pannes d’essence en plein désert et sur les rives du Nil, le Farman F-ALAP s’est confirmé
être un excellent avion, très fiable et capable de parcourir de très longues étapes. Jacques et Marcel
Germain souligneront à leur arrivée la merveilleuse organisation de la société Shell : Partout où
nous sommes posés, nous avons été parfaitement servis par les agents de cette société.
Le commandant Dagnaux adresse un télégramme de félicitations à ces courageux aviateurs qui
viennent d’accomplir un périple à travers ces contrées désertiques d’Afrique, à la moyenne for-
midable de plus de 1 000 kilomètres par jour. Quelques jours plus tard, l’Aéro-club d’Algérie
convie à Maison-Blanche, pour un champagne d’honneur, les personnalités du monde aéronau-
tique. William Billion du Plan retrace, dans un discours émouvant, la merveilleuse randonnée
des frères Germain et de leur mécanicien Picard.
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