Page 43 - C'est la Faute aux Oiseaux
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Commence ensuite une action relativement lente parce que nécessairement laborieuse : améliorer
les chemins d’accès au plateau du sommet de la chaîne, obtenir que les planeurs élémentaires
Avia 151A soient affectés au Centre de vol à voile du Djebel-Kallel, trouver des sandows conve-
nables, obtenir de l’armée des tentes et du matériel de couchage, construire des réfectoires-salles
de cours, des douches, des cuisines, au moyen de poteaux téléphoniques plus ou moins subtilisé
aux PTT et de bâches plus ou moins subtilisées à des transporteurs.
Et enfin des jeunes commencent à affluer, de la région d’abord, puis du département, puis de
toute l’Afrique du Nord.
Je vois encore le jeune Allard qui a un pilon de bois à la place de sa jambe perdue dans un acci-
dent. Il vient d’Oran sur sa bicyclette dont la pédale gauche porte une boite de conserve ronde
dans laquelle il appuis son pilon ! cent kilomètres de route dont quarante kilomètres de fortes
côtes pour se hisser du niveau de la mer jusqu’à neuf cent mètres ! Arrivé au Centre, il se dépense
sans compter et abat la besogne de deux stagiaires de moyenne qualité. Il a droit à une boite de
conserve ronde sur la pédale gauche du palonnier d’un planeur et il vole, comme tout le monde.
Ne pouvant disposer d’aucun planeur biplace, nous avons froidement repris la très ancienne
formule de formation intégrale sur un planeur monoplace.
Le stagiaire commence à suivre des cours élémentaires de météorologie, d’aérodynamique et il
participe à des entretiens sur l’histoire de l’aviation, la construction aéronautique et divers autres
sujets, ces cours et ces entretiens sont entrecoupés de séances de points fixes.
Le point fixe consiste à tenir en équilibre face au vent un planeur dont le patin repose sur un sys-
tème à cardan placé à la verticale du centre de gravité du planeur en charge.
Lorsque l’élève tient correctement le point fixe on commence à lui faire exécuter des glissades au
sandow à partir du sommet de la petite pente. Ces glissades se règlent en faisant varier la traction
sur les sandows : le moniteur commande aux équipiers de traction le nombre de pas correspon-
dant à l’effet qu’il recherche… et il compte avec soins les pas que les équipiers exécutent pour
déjouer les facéties auxquelles se livrent mes gaillards à chaque occasion.
Suivent les vols en ligne droite jusqu’au bas de la petite pente, l’angle de descente du planeur
correspondant à peu près au profil de cette pente.
Dès que des lignes droites correctes sont régulièrement obtenues d’un élève, la traction sur les
sandows est augmentée et on lui fait exécuter des changements de direction à droite et à gauche.
À ce stade de l’instruction je rencontre régulièrement un petit problème très personnel.
Mon fils aîné, Christian, deviendra instructeur de pilotes de ligne au Centre national de Saint-Yan.
Mais pour le moment, il passe son temps juché sur mes épaules et à quatre ans d’âge, ce gaillard
là pèse un bon poids, il me faut bien le poser à terre de temps à autre pour souffler un peu. Alors
ça ne traîne pas.
Avec des ruses de Sioux il déjoue mon attention et il fonce avec ses petites bottes de sept lieues en
direction de la petite pente pour rejoindre ses copains les moniteurs et les analphabètes du stage
en cours. Il est toujours accueilli triomphalement et immédiatement embarqué sur les genoux
du misérable impétrant se disposant à bondir, à tout hasard, avec son planeur plus ou moins sous
contrôle.
D’une part cette façon de faire met la pagaille là ou il y en a bien assez pour mon goût et, d’autre
parts, je crains que ces bons à rien finissent par me le cabosser. J’ai, bien entendu, brandi d’ex-
traordinaires apocalypses sur la tête de ces gens là mais je ne suis jamais parvenu à empêcher
complètement cette pratique déplorable.
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