Page 39 - C'est la Faute aux Oiseaux
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Après avoir localisé le meilleur endroit possible, il me faut convaincre la population et les au-
torités, il me faut leur faire comprendre ce qu’est le vol à voile et comment on peut le pratiquer
à quelques kilomètres de la ville. Il faut aussi les persuader de l’intérêt de cette activité et les
conduire ainsi à soutenir une entreprise somme toute hasardeuse.
Au fond d’un hangar de l’aérodrome de Sidi-Bel-Abbès je parviens à récupérer le vieux planeur
Avia 32E jadis construit par mon ami le charron Eugène James et ses ouvriers, je ramène à Mas-
cara, en son atelier d’origine, le vieux planeur en bien piteux état.
Au moyen de fonds de pots d’une douteuse peinture, Eugène James redonne à l’entoilage des
ailes une tension et un aspect acceptables. La toile est cuite à la limite de ce qui peut être consi-
déré comme admissible tenant compte du fait qu’il est hors de question de pouvoir s’en procurer
pour rentoiler le planeur. Bien poncée, la carlingue de contreplaqué est enduite grâce à l’amitié
de notre ami le croque-morts du coin prélevant généreusement sur ses maigres attributions de
vernis à cercueils.
Sur la base aérienne d’Oran-la Sénia je repère les carcasses de deux vieux LeO 20, ils ont encore
leurs trains d’atterrissage garnis des sandows servant d’amortisseurs, cela permet de bricoler un
système capable d’assurer quelques lancers.
Tout cela demande beaucoup de temps et d’efforts car la disparition des automobiles, faute de
carburant, transforme tout déplacement important en problème difficile à résoudre, l’action vé-
ritable reste à engager.
Arrive enfin ce samedi auquel j’ai essayé de préparer le plus d’amis possible par de multiples
conférences.
Traînée par un mulet, une remorque sommaire transporte le vieux planeur Avia 32E aussi près
que possible du sommet de la chaîne du djebel Kallel. Des centaines de personnes chargées de
leurs pique-niques forment une étrange procession derrière le planeur et sa remorque, les trois
charmantes filles de mes excellent amis Campora sont parmi les plus enthousiastes. Une bonne
soixantaine de Compagnons de France, parfaitement encadrés, constituent le fer de lance de
l’opération, les chefs Gavalda, Grenier et Reuillon relancent des chants de marche qui aident la
progression de tous.
Parvenue aussi haut que lui permet le sentier, la remorque est abandonnée et on procède au mon-
tage du planeur transporté ensuite à bras sur le bon kilomètre qu’il faut gravir pour atteindre le
plateau de lancement situé au sommet de la chaîne.
Le mécanisme des ascendances dynamique en ce lieu est le suivant de mars à octobre, à peu près :
Du sommet de la chaîne du djebel Kallel, dont l’altitude moyenne est de 900 mètres, une pente
inclinée à 45° offre une dénivellation d’environ trois cents mètre. La chaîne se développe sur une
longueur de six kilomètres en offrant une succession de pentes et de falaises verticales alternées.
Un petit plateau est praticable en un point du sommet de la chaîne. Depuis ce petit plateau, un
planeur peut, après décollage, venir se poser au pied de la chaîne. Du pied de la chaîne, un chaos
de vallonnement tourmentés descend de 600 mètres vers la plaine de Perrégaux, les marais de la
Macta et, au loin, la Méditerranée.
Le matin est toujours calme. Puis, le soleil chauffant le sol de l’arrière pays, les masses d’air
commencent à s’y élever en créant un appel qui fait naître progressivement un vent très régulier
venant de la mer. Ce vent rencontre la barrière constituée par la chaîne du djebel Kallel orientée
perpendiculairement à sa direction, dès lors le mécanisme aérodynamique est en place et il est
possible de l’exploiter.
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