Page 36 - C'est la Faute aux Oiseaux
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De cette façon magistrale il nous expose que nous sommes au lieu-dit Miroshi, que notre arrivée
tombe à pic car il y a deux noces qui s’ébattent au village. Que c’est la seconde fois qu’on voit à
Miroshi un avion de la CIDNA, on se souvient au village d’un autre avion posé au même endroit
quelques années plus tôt. Que des cavaliers en arme vont bivouaquer près de l’avion pour en
assurer la garde.
J’explique aux cavaliers, par instituteur interposé, que les feux de bivouac et l’essence contenue
dans les ailes de l’avion éprouvent comme une sympathie réciproque à ne pas encourager et nous
partons en carriole vers le village ou nous sommes tôt rendus.
En notre honneur, les deux noces se réunissent en une seule vaste fête et les deux orchestres n’en
forment plus qu’un. Ces orchestres sont surtout composés de violons dont les musiciens jouent,
et fort bien, en les tenant appuyés sur le ventre !
Les jeunes filles et les jeunes femmes sont chaussées de petites bottes de cuir brodé et portent une
incroyable quantité de jupons sous leurs jupes brodées et sur brodées, j’en ai compté plusieurs
dizaines sur une seule d’entre elles. La matière de ces jupons très fins ressemble au pongé de
soie utilisé par les aéromodélistes pour le revêtement de leurs appareils. Lorsqu’elles se tiennent
tranquilles, ces jupons serrés à la taille leur font des hanches rebondies et lorsqu’elles dansent
en tournoyant, tous ces jupons volent autour d’elles découvrant de bonnes cuisses de solides
campagnardes gentilles et gaies.
Dans le courant de la nuit, les inévitables gendarmes arrivèrent avec leurs képis et leurs fusils pour
enquêter sur l’atterrissage assez louche d’un avion mystérieux. Ils sont tellement bombardés de
CIDNA-France qu’ils abandonnent képis et fusils pour se mettre à danser, comme tout le monde.
Au petit matin il faut tout de même dormir un peu, ma tante va se reposer chez le maire du pays et
moi chez l’instituteur. J’ai droit à un grand lit sommé d’un énorme édredon rouge, j’ai droit aussi
à une immense armoire à glace qui me renvoie l’image d’un étrange citoyen français portant une
chemise lui tombant jusqu’aux pieds, brodée et sur brodée de toutes les couleurs autour du cou,
aux manches et dans le bas. Ça n’empêche pas de dormir, mais j’aurais aussi bien fait de ne pas
laisser mon pyjama dans l’avion.
En fin de matinée, je donne le baptême de l’air aux mariés de la veille et au conseil municipal.
Tout le monde est ravi mais l’essence s’épuise et je suis un peu lassé de ces moustaches à la Ver-
cingétorix qui m’embrassent sur la bouche selon la coutume de l’endroit.
Quarante cinq minutes de vol nous conduisent à Bucarest où le balisage était resté allumé toute
la nuit à notre intention.
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