Page 33 - C'est la Faute aux Oiseaux
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Une escale imprévue




        Le premier octobre 1934, le F-AMMS quitte l’aérodrome de Budapest-Matyalföld en début
        d’après-midi et fait route vers Bucarest sous un ciel bas en se frayant laborieusement un passage
        entre de mauvais grains neigeux.

        Le Danube est un fleuve d’une grande majesté que je ne me lasse pas de contempler. Au départ
        de Bucarest, l’avion longe le fleuve quoi coule plein sud dans la plaine de l’Alföeld et quitte la
        Hongrie pour entrer en Yougoslavie, coulant entre les plaines de Baranya et de Batchka il alimente
        le canal du Roi Pierre qui le relie à la Tisza.

        Peu après avoir reçu la Drave, sur la rive droite, le fleuve infléchit sa course vers l’est et vers la
        Roumanie après avoir baigné Belgrade en recevant la Save.
        Dans la région de Bouzias, encore renforcé de la Morava, du Timech et de la Mlava, le Danube
        prend des proportions qui déconcertent : De l’une des rives du grand fleuve on aperçoit à peine
        l’autre rive. Le puissant cours d’eau se prépare ainsi à forcer le passage à travers les Alpes de
        Transylvanie qui tentent de lui barrer la route vers la grande plaine de Valachie et de la mer Noire.

        Aujourd’hui, les nuages bas accrochent la montagne où le fleuve semble s’engouffrer par une
        vaste faille. Deux solutions s’offrent à moi :

        - Je peux me replier sur Belgrade que je viens de survoler et y attendre une amélioration des
        conditions météorologiques.
        - Je peux aussi calquer ma conduite sur celle du grand fleuve et tenter de passer avec lui.
        Cette grande faille qui approche m’intrigue énormément, je descends au ras de l’eau, je franchis

        la faille et je m’engage avec le fleuve dans le défilé des Portes de Fer.
        Durant l’heure qui suit ma décision le pilotage n’est ni très aisé, ni très confortable car le relief
        tourmenté et le vent violent rendent l’air aussi agité que les eaux du fleuve.

        Mais le spectacle valait la peine qu’on prenne un peu de peine.
        Une gigantesque masse liquide se rue entre d’immenses falaises en bouillonnant au milieu
        d’énormes rochers, au fond de ce gouffre, seul un canal latéral permet à la navigation fluviale de
        franchir ce passage périlleux. De nombreuses épaves montrent assez que se joue à cet endroit, et
        depuis longtemps, une partie extrêmement difficile.

        Je n’en fini plus d’aller et de venir, de voler et de revoler en cercles dans les violentes turbulences,
        pour me repaître de ce prodigieux spectacle.
        Enfin, à hauteur de Tournou-Sévérine, je me décide à quitter le grand seigneur que j’accompagne

        depuis Vienne et j’entre en Roumanie.
        Là, tout redevient facile, car la plaine de Valachie s’étend devant moi jusqu’à Bucarest, je peux
        donc me stabiliser sur mon cap et faire tranquillement mes comptes.
        Essence : ça va, très à l’aise.

        Coucher du soleil : ça va aussi. Ah, attention ! je vole vers l’est, ça va être tangent, très tangent
        même. Voyons un peu la vitesse sol entre deux points remarquables repérés sur la carte au
                 ème
        200 000  : mauvais, très mauvais, çà traîne autour de 140 km/h. Décidément, je n’ai aucune
        chance d’atteindre Bucarest avant le coucher du soleil et, avec un temps pareil, coucher du so-
        leil et tombée de la nuit ne peuvent que coïncider étroitement. Aucun aérodrome n’est plus près
        que Bucarest. Cette fois, le touriste l’a emporté sur l’aviateur. Coincé ! je me suis laissé coincer

        comme un bleu !
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