Page 27 - C'est la Faute aux Oiseaux
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Un avion de bois et de toile qui passe sa vie dehors, exposé à l’alternance de la pluie et du soleil,
donne rapidement des marques évidentes de vieillissement accéléré. A cette époque-là, j’héberge
l’excellent pilote Louis Demouveaux qui disparaîtra plus tard aux commandes du grand hydravion
hexamoteur Laté 631 entre le lac Léré et la côte Atlantique de l’Afrique.
Loulou surveille de près le vieillissement en cours : Le longeron ne bouge pas, mais l’entoilage
est cuit, à mon avis tu peux encore y aller, mais vas y molo. Au début, je ne reviens jamais me
poser à l’endroit d’où je suis parti et mon échelon roulant me récupère en un autre point convenu
Mais rien ne se produisant, une fâcheuse décontraction me conduit à regagner tout simplement
mon point de départ… et ce n’est pas une bonne idée !
Une belle nuit, je viens de me poser parce que la lune baisse sur l’horizon et je déguste des sardines
frites avec mon échelon roulant, soudain nous entrevoyons des ombres qui se déplacent rapide-
ment et se couchent au sol, tout cela s’accompagne de claquement des culasses qu’on verrouille.
Du coup, nous nous couchons aussi… dans la plus extrême perplexité !
Des Allemands ? çà n’existe pas ici, les plus proches sont à mille kilomètres.
Des Italiens ? çà existe à petite dose mais, à cette heure ci ils roupillent assurément, comme tout
le monde.
Alors ? des Français ? très probable. Mais quels Français ?
Des casques brillent sous le peu de lune encore efficace et en fin de compte, nous optons tout
simplement pour les gendarmes, or les gendarmes sont du coin et on les connaît.
Toujours à plat ventre de part et d’autre, la conversation s’engage et, très vite, l’atmosphère se
détend, tout le monde se retrouve autour du feu, des sardines grillées et du bon vin de Mascara.
Un avion de 75 ch ça ne fait pas grand bruit en l’air mais ce n’est tout de même pas une chouette
au vol ouaté et puis le silence de la nuit met en relief tout bruit inhabituel.
C’est ainsi qu’à chaque lune de dévoués citoyens harcèlent les gendarmes à longueur de nuit
pour signaler leur survol par des mystérieux avions ne pouvant se livrer qu’aux plus louches
activités. Ils grimpent et font mille galipettes puis plongent au ras du sol pour filer on ne sait ou
pour déposer certainement on ne sait quoi ou on ne sait qui.
A force de n’en plus dormir pendant plusieurs jours chaque mois, les gendarmes sont bel et bien
excédés et furieux. Leur idée première est, bien entendu, de faire un rapport qui peut me causer
mille désagréments supplémentaires. Leur idée seconde est d’étendre à cette activité bien parti-
culière la sympathique complicité qui nous unit au service de bonnes causes.
Dès lors, ces vols au clair de lune se poursuivront sans encombre jusqu’au beau jour du débar-
quement des Américains. À partir de ce jour, six litres de bon vin procureront très régulièrement
vingt litres de bonne essence.
Le système de réchauffage et les subtils clapets qui permettent de faire tourner le moteur à l’alcool
sont prestement démontés. Les gicleurs d’origine reprennent leur place et le carburateur récupère
ainsi son honnête configuration britannique d’ordinaire petite usine à gaz d’essence.
On vole au grand jour, à nouveau. Mais malgré la très compétente vigilance de Louis Demou-
veaux l’insidieux vieillissement fait son œuvre… et la catastrophe n’est pas loin. Ce sera la fin
du Jamme J-5 F-PAAV que je raconterai un jour prochain.
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