Page 17 - C'est la Faute aux Oiseaux
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Eugène Jamme, le HM-8... et ses petits
Attiré par la soufflerie électrique, le feu de la forge ronfle en projetant d’étranges lueurs sur le
visage du forgeron et sur ceux de ses aides. Lentement le gros essieu tordu passe du rouge sombre
à l’incandescence. Rapidement saisi par la pince des aides il vient choir sur l’enclume ou com-
mence le puissant martelage qui va lui rendre sa forme primitive. Maniant son lourd marteau à
tour de bras, il n’y va pas de main morte, mon vieil ami Eugène Jamme.
Eugène Jamme est maître forgeron et maître charron de son état. Ce n’est pas un forgeron ordi-
naire. Portant grosse moustache noire, à la gauloise il est plus royaliste que le roi lui même, il
chante souvent la Royale d’une voix de stentor et fait trembler les vitres faute de faire trembler la
république qui, bonne fille, ne lui en tient pas rigueur. C’est un homme simple et bon qui consacre
ses loisirs à secourir plus malheureux que lui… et à construire des petits aéroplanes ! Certes,je
suis son client et lui confie de nombreux travaux, mais se sont ses activités aéronautiques qui ont
établi entre nous la complicité habituelle en ce genre d’affaire.
J’exerce alors les fonctions de moniteur bénévole au Club Aéronautique de Sidi-Bel-Abbès, le
fameux CABA, sous l’autorité du chef-pilote Monville.
Un beau jour, je vois arriver sur le terrain d’aviation Eugène Jamme qui me raconte avoir lu avec
délices Le Sport de l’Air, d’Henri Mignet. Bien entendu, j’ai lu moi aussi ce merveilleux Bouquin
selon lequel tout homme normalement constitué, capable de clouer une caisse, peut aussi bien
construire un avion : c’est la vérité même ! Certes, ce n’est pas la voie qui conduit aux matériels
mis en œuvre par l’aviation de transport ou par l’aviation militaire, mais c’est une excellente voie
pour accéder à une petite aviation passionnante et à la portée de toutes les bourses.
Mon brave ami a lu donc le fameux Bouquin mais il ne s’en est pas tenu là ! Avec l’enthousiasme
qui le caractérise, il s’est procuré du contre-plaqué, de la toile, de la colle et des clous d’où il a
fait surgir un petit aéroplane du type HM-8. Bien entendu HM n’est autre qu’Henri Mignet.
Le frère d’Eugène Jamme, Marcel, ancien mécano d’Arrachard, a gonflé un moteur de 500 cm 3
Terrot entraînant une hélice au moyen d’une chaîne jouant le rôle complémentaire de réducteur,
et tout est paré pour les essais en vol. Son propos a pour objet de m’amener à persuader Monville
de mener à bien ces essais, ce que j’entreprends avec un plein succès.
Quelques jours plus tard, Monville me raconte qu’il a caracolé à travers champs aux commandes
du HM-8 sans jamais pouvoir décoller d’un pouce, que ce truc idiot ne vaut pas un clou et que
ça suffit comme ça !
Du coup, Eugène Jamme désolé m’appelle en consultation et je caracole à mon tour à travers
champs avec le petit aéroplane, bien entendu, ce que Monville n’a pu faire je ne le puis davantage
mais je ne baisse pas les bras pour autant. Mon opinion est que, plus lourd que prévu, le petit avion
est trop chargé au cheval. Un avion prototype plus lourd que prévu n’est pas chose rare, mais on
ne peut le faire vraiment maigrir… qu’en en construisant un nouveau. Comme mon ami n’est ni
milliardaire ni tellement libre de son temps je ne peux lui dire :
– On efface tout et on recommence !
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Je déclare donc doctement qu’il faut augmenter la puissance installée. Sur le moteur de 500 cm
on a tiré toutes les ficelles : Augmentation du taux de compression, retard à l’admission, avance
à l’allumage, carburant spécial, tout y est passé. L’hélice est bien adaptée, il n’y a plus un cheval
à gratter. Il faut remplacer ce moteur par un autre de cylindrée supérieure. Ce verdict tombé, je
m’en vais dignement à mes occupations.
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