Page 19 - C'est la Faute aux Oiseaux
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Deux mois passent vite et je vois revenir Eugène Jamme qui m’annonce avoir monté un nouveau

        moteur et que les essais peuvent reprendre. Monville, sollicité, ne veut rien entendre, il m’explique
        aimablement que si je tiens essentiellement à abréger mes jours, il est bien trop respectueux de la
        liberté de chacun pour tenter d’y faire obstacle. Qu’il a connu un bon nombre d’avion mal foutus
        issus des réflexions d’ingénieurs réputés distingués et que, à fortiori, dans le cas présent il est
        urgent de ne rien faire… prudence et circonspection !

        La sagesse étant fort heureusement intransmissible, je décide de soutenir Eugène Jamme dans son
        entreprise et il en sera ainsi durant de nombreuses années. Ma surprise n’est pas mince lorsque
        je découvre le HM-8 équipé d’un superbe Anzani trois cylindre en Y inversé, muni d’une hélice
        à bouts carrés, monté sur le petit avion au moyen d’un bâti en cornières de fer soudées, le tout
        soigneusement capoté d’alu bouchonné du plus gracieux effet. Pour obtenir une garde de l’hélice
        acceptable, un train d’atterrissage en tube d’acier a été monté et équipé d’amortisseurs à sandows.
        Me considérant comme partiellement responsable de cette évolution il me faut aller au bout de
        cette affaire et je suis d’ailleurs convaincu que cela devrait marcher. Dès la mise en route du mo-

        teur, le torrent de vent relatif me confirme que la situation est complètement changée par rapport
        à celle des précédentes tentatives de décollage. Cales retirées, pleine admission, me voilà en route
        pour ce qui devrait être une ligne droite, queue haute. Mais le petit avion bondit littéralement
        en avant et la vitesse augmente en un clin d’œil, l’avion embarque terriblement à gauche et je
        contre au pied, une méchante bosse arrive et, hop, me voilà en l’air, bien vite au delà de la zone
        d’atterrissement, au dessus de vignes tendues de fil de fer.

        Bon, ça vole après tout et c’est justement ce qu’on veut. Faisons un peu le point. Contrôle autour
        de l’axe de tangage : la profondeur répond bien. Contrôle autour de l’axe de roulis : les ailerons
        ne répondent pas. La carlingue est très étroite, le débattement latéral du manche est très faible,
        de plus, ce faible débattement est fâcheusement compensé par le jeu dans les câbles reliant les
        commandes aux gouvernes que je ne peux donc pas faire bouger d’un pouce. Mais l’air est calme
        et l’avion vole naturellement stable en latéral. Contrôle autour de l’axe de lacet : situation simple
        et claire, le palonnier est poussé à droite au maximum de sa couse et l’avion file bien droit sur son
        cap. Dans ces conditions, il est impossible de virer à droite mais il devrait être possible de virer
        à gauche en retirant un peu du pied droit. Je retire donc un peu du pied droit et le petit avion vire
        à gauche en s’inclinant gracieusement de ce même coté sous l’heureux effet du roulis induit. En

        somme, tout va bien et un large tour de piste me ramène dans l’axe d’atterrissage. Approche de
        précaution au moteur, posé trois points, sans histoire.
        Il y a finalement beaucoup de monde sur ce terrain de fortune : casquettes, chapeaux, chéchias
        et bérets voltigent de tous côtés sous le vent de l’enthousiasme.

        C’est formidable ! l’avion vole ! on se croirait revenu au temps pas si lointain des premiers vols,
        c’est assez extraordinaire ! On vous complète le plein et vous faites le tour de la ville, il faut que
        tout le monde voit voler l’avion. Ça, c’est un peu fort de café ! pour ce programme là je ne suis
        pas chaud du tout. La ville de Mascara, la Mère des Soldats est à flanc de coteau, sur les deux tiers
        de son pourtour il n’y a aucune possibilité de tenter un atterrissage heureux. Sur le tiers restant
        on peut espérer se défendre, avec un peu de chance on peut même regagner la plaine en jouant
        sur les effondrements de terrain.

        J’ai constaté que ce petit avion vole à environ 100 kilomètre à l’heure ce qui veut dire que les
        deux mauvais tiers du pourtour représentent de longues minutes, aucune espérance de pouvoir
        rejoindre convenablement la planète en cas d’ impératif catégorique comme il ;en arrive parfois.
        Décidément, cette entreprise ne me dit rien qui vaille. Mais l’enthousiasme est tel, ces gens sont

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