Page 14 - C'est la Faute aux Oiseaux
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Ses mains posées sur sont par-brises, mon moniteur me laisse tenter de tenir le cap et la ligne de

        vol, puis il effectue des virages à droite et à gauche. Le couple est si puissant que l’action sur les
        commandes doit être très différente dans un cas et dans l’autre. J’essaie à mon tour de virer en
        maintenant correctement le capot moteur sur l’horizon.
        Puis je sens les manettes glisser vers l’avant, le régime moteur diminue pendant que la manche
        vient lentement vers l’arrière, je comprends parfaitement qu’il s’agit de faire connaissance avec

        cette fameuse perte de vitesse qui, près du sol, s’est assurée la plus détestable réputation en tuant
        beaucoup de mes prédécesseurs. Manche au ventre, la grande hélice tourne si lentement qu’on
        peut compter ses tours. Soudain l’avion vibre de partout et plonge brutalement droit devant lui en
        un piqué proche de la verticale tandis que le sifflement des cordes à piano passe du grave discret
        à l’aigu intense. Par une longue ressource l’avion est ramené en ligne de vol puis il reprend de
        l’altitude. La même manœuvre recommence mais, cette foi ci, alors que le sifflement des cordes
        à piano est au grave discret, je sens le manche passer à gauche en arrière tandis que le palonnier
        s’enfonce sous l’action du pied droit de mon moniteur, les commandes sont croisées. Au lieu
        de plonger droit devant lui, l’avion bascule sur l’aile droite et tourne rapidement autour de son
        axe de roulis pendant que le sifflement remonte à l’aigu intense. Je comprends très bien : nous
        sommes en vrille. Le palonnier revient au milieu, le manche aussi mais il est poussé en avant,
        l’autorotation cesse immédiatement. Une ressource suit puis, à nouveau, une reprise d’altitude.

        À nouveau mains sur son pare brise, mon moniteur me fait signe d’essayer à mon tour. Tant bien
        que mal, plus mal que bien, je m’exécute : décrochage symétrique, piqué, ressource, reprise
        d’altitude, décrochage dissymétrique, autorotation, sortie de vrille, piqué, ressource, reprise
        d’altitude, les mains de mon moniteur n’ont pas quitté son pare-brise. Son évidente et parfaite
        tranquillité me remplit d’admiration stupéfaite, quelle déconcentration ! Moi, je transpire et lui

        rigole doucement ! Il a quelques longueurs d’avance et je n’imagine pas pouvoir les remonter.
        Et maintenant, pour faire bonne mesure, le voilà qui s’amuse : moteur réduit il fait des tonneaux
        déclenchés en descente, des piqués suivis de chandelles avec, au bout, renversement ou retour-
        nement, le sol se rapproche très vite. Virage à gauche, glissade… et il roule sur la roue gauche,
        le bout de l’aile au ras du sol. J’ai parfaitement compris… que j’ai tout à comprendre !

        Mon moniteur me dit que les décrochages ça peut aller mais qu’il faut sortir dans l’axe, qu’on
        peut sortir à 180° pile ou à 90° pile mais toujours selon l’axe que tout ce qui n’est pas dans l’axe
        n’est que cafouillage, hérésie et pure foutaise… et que, justement, c’est mon niveau actuel. Il me
        dit aussi que je visualise bien, que j’ai une bonne main et que je sens bien l’avion, paroles mysté-
        rieuses pour moi mais qui l’amènent cependant à conclure que ça devrait aller et qu’il ne devrait
        pas y avoir trop de problèmes. Il n’y en aura pas trop, en effet, mais bien assez selon mon goût et
        je serai finalement breveté pilote à la mi-septembre après des vols chaque jours plus passionnants.

        Un fâcheux matin, persuadé que Monville n’est pas sur le terrain, je me livre à une lamentable
        corrida qui, dans mon esprit, était de la voltige, en plus, je ne vole pas bien haut. Pas plus tôt posé
        j’ai sur le dos un Monville inconnu, hors de lui, enrager :
        – Si vous vous prenez pour Fronval ou quelque chose comme ça, perdez vos illusions et en vi-
        tesse, n’importe quel abruti ferait mieux que vous, l’aviation n’a pas besoin de clowns de votre

        espèce, jamais vous ne ferez un pilote, fichez-moi le camp, je ne veux plus voir un débile pareil
        dans mes avion, etc.
        Brêlé dans l’avion, crevant de honte, je ne peux même pas déboucler mon harnais, les mécanos,
        pris de pitié, s’affairent à placer la béquille sur le BO et à rentrer l’avion dans son hangar avec
        moi dedans. Je file par la petite porte du fond du hangar, sans demander mon reste.

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